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Albi la rouge, cité de briques et de luttes

En bordure du Tarn, la vieille ville d’Albi et son ensemble architectural et urbain du Moyen Âge constituent un fleuron du patrimoine mondial. Nettement moins connu, le quartier industriel, situé sur l’autre rive, a pourtant été un passionnant laboratoire politique et social.

L'Humanité, Lea Desportes

Il faut tourner le dos à la cité épiscopale classée au patrimoine mondial de l’humanité pour découvrir Albi la rouge. Pas celle des briques, signature architecturale de la ville, mais celle qui a été aux avant-postes du mouvement social. Derrière l’imposante cathédrale Sainte-Cécile, passé les vestiges d’un précédent édifice roman, un chemin arboré descend vers les berges du Tarn. La construction d’un premier pont au XIe siècle permit l’essor du fief ecclésiastique et son développement sur les deux rives. La capricieuse rivière restera une frontière sociale. Tandis que la rive gauche concentrait le pouvoir politique et religieux, s’installèrent sur la rive droite moulins drapiers, teintureries ou encore tanneries. À côté de ces activités polluantes, gourmandes en eau et en espace, le « faubourg du bout du pont » rassemblait exclus et miséreux. Aujourd’hui, pour rejoindre le quartier dit de la Madeleine, il faut emprunter le Pont-Vieux , du XIe siècle.

Quand la ville travaillait du chapeau

Au 5 de la rue Sainte-Marie, une cheminée en brique constitue une des toutes dernières traces de la chapellerie, pourtant l’activité dominante de la cité albigeoise à la fin du XIXe siècle. Une douzaine d’établissements coiffaient de leurs feutres de laine le monde entier, employant jusqu’à 1 800 personnes. Très qualifiés, ces ouvriers constituèrent un « premier foyer socialiste », explique Patrick Trouche, coauteur de l’ouvrage collectif « Madeleine Pont-Vieux. Un quartier d’Albi dans l’histoire ». Ils invitaient des conférenciers, comme, en 1883, la journaliste féministe et socialiste Paule Mink, participante active à la Commune. Les travailleurs du chapeau envoyèrent aussi les hérauts d’un monde nouveau dans le bassin houiller alors situé à une poignée de kilomètres de la ville. Du charbon indispensable à une autre épopée industrielle qui naît ici.

SUR LA RIVE GAUCHE LE POUVOIR POLITIQUE ET RELIGIEUX, SUR LA RIVE DROITE, MOULINS, TEINTURERIES ET TANNERIES

Un abri pour les victimes « de l’arbitraire patronal »

L’histoire démarre avec les grandes grèves de Carmaux qui touchèrent, entre 1892 et 1895, les mines mais aussi leur débouché le plus proche, une importante verrerie. Confrontée à une grève massive suite au renvoi de deux délégués syndicaux, la direction ferma le site et licencia 1 200 ouvriers. Soutenus par Jean Jaurès, réélu en 1893 député du Tarn, les ouvriers n’ayant pas été repris, les syndicalistes, au premier chef, ouvrent un lieu « où trouveront un abri ceux que l’arbitraire patronal veut chasser et affamer », selon les mots du socialiste, dont la statue trône encore à la porte de l’usine. Une souscription nationale fut lancée. Les dons affluèrent, dont celui, anonyme, d’Éliane Dembourg, 100 000 francs qui représentaient un cinquième du capital. Une avenue du quartier porte son nom. Au conseil d’administration de la Verrerie ouvrière d’Albi siègent des coopératives et des syndicats de toute la France mais aussi des représentants du personnel. « Il ne s’agit pas pour autant d’une utopie et, malgré des débuts difficiles, la concurrence des verreries patronales qui cherchèrent à leur briser les reins, ils parvinrent à augmenter la production et à se moderniser », précise Patrick Trouche. Devenue une société anonyme absorbée par Saint-Gobain dans les années 1990, l’usine a quitté la Madeleine pour une zone industrielle. De la verrerie d’origine, il ne reste plus qu’un mur visible dans la salle d’exposition des archives départementales du Tarn.

Juste devant les Moulins albigeois, qui abritèrent une minoterie puis une vermicellerie jusqu’en 1976, un square offre la plus belle vue de la ville sur la cathédrale fortifiée et le vaste palais de la Berbie. Un panorama unique qui explique l’envolée des prix du mètre carré des maisons. Sa gentrification déjà bien engagée, la contribution du quartier à l’histoire sociale ne doit pas être oubliée.

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